dimanche 16 février 2014

Campagne anti-prostitution à Dongguan

Dongguan (东莞). Nous sommes dans le sud de la Chine, dans la province du Guangdong. Au nord, nous avons Canton, la capitale provinciale et ses 12 millions d’habitants. A l’est, voici Shenzhen, la ville nouvelle, produit des réformes économique de Deng Xiaoping dans les années 80. Aujourd’hui Shenzhen est l’une des villes les plus riches de Chine et compte 10 millions d’habitants. Un peu plus loin au sud, à deux heures de route, il y a Hong-Kong. Les casinos de Macao et la grande ville de Zhuhai, de l’autre côté du delta, pointent aussi leurs nez. 

Au milieu de tout cela, Dongguan, petite ville de quelques millions d’habitants. Ce n’est pas une zone économique spéciale, ce n’est pas non plus la capitale provinciale. Ici, pas de casinos comme à Macao, ni de reine d’Angleterre comme à Hong-Kong. Mais Dongguan est sacrément bien entourée! Dans des grandes villes comme Canton et Shenzhen, tout est plus contrôlé, plus policé. Dongguan, tout en profitant du rayonnement économique des grandes villes alentours, se situe en retrait, et l’autorité s’y fait plus souple. Une situation dont la ville a su tirer avantage en développant un service particulier: la prostitution.

Les rues de Dongguan, comme dans un film de Wang Kar-Wai - Photo: Rex Features via The Telegraph

Le Guangdong, c’est l’usine du monde. Dongguan ne fait pas exception, les usines sont partout. Et pour tourner, ces usines ont besoin de petites mains, beaucoup de petites mains. Ainsi, pendant des années, ce sont des centaines de milliers de jeunes filles qui sont sorties de leurs campagnes pour venir travailler à Dongguan. Mais le travail à l’usine, c’est fatigant, et le salaire est bas. Certaines jeunes filles veulent quitter l’ombre et rejoindre la lumière. Venues de provinces voisines du Hunan, du Jiangxi, du Sichuan, du Guizhou ou d’ailleurs, si elles ont la chance d’avoir un peu plus de charme que d’autres, une carrière prometteuse leur tend les bras.

Et puis, à Dongguan, il fait chaud. Nous ne sommes pas dans le Heilongjiang, au nord de la Chine. Ici, une jeune femme ne risque pas de geler sur place si elle porte une jupe un peu courte. En Chine, on dit que le désir vient lorsqu’on a bien chaud et qu’on a le ventre plein (云饱暖生淫欲). A Dongguan, on mange bien, on boit bien, et il faut chaud toute l’année. Un peu comme en Asie du sud-est, n’est-ce pas? Enfin, si il est généralement de coutume en Chine de dîner tôt, dans le Guangdong, chaleur oblige, on aime assez attendre la nuit pour dîner. Ça tombe bien, la prostitution est un business nocturne.

C'est ainsi que depuis les années 90, dans la ville de Dongguan, la prostitution s’est développée en industrie, dans les maisons de passe, les hôtels, les spas et les karaokés. On surnomme la ville la “capitale du sexe” de Chine. Ce n’est pas nouveau, et ce n’était un secret pour personne. En tout cas, si certains chinois ne connaissaient pas encore la réputation sulfureuse de Dongguan, depuis quelques jours les médias se chargent bien de corriger cela.



Touta commencé sur CCTV, la chaîne nationale, qui le 9 février dernier a diffusé un reportage sur Dongguan. A la manière des meilleures émissions d’investigation de M6, CCTV nous plonge dans l’univers sulfureux des hôtels de Dongguan, comme si l’on y était, grâce à des caméras cachées. Certes, les trois quarts de l’écran sont floutés, et on pourrait tout aussi bien croire que les images sont filmées dans le parking du fameux siège de CCTV, mais les commentaires sont là pour nous guider. Et l’on découvre l’impensable: dans les bordels de Dongguan, il est possible de payer des femmes pour avoir droit à certains services particuliers.

Cette découverte des intrépides journalistes ne restera pas sans conséquences! Dès le lendemain, le pouvoir réagit vivement et envoie des milliers de policiers pour inspecter les lieux suspectés d’héberger des activités de prostitution. Les nouvelles s’enchainent. Plus de 6000 policiers, des centaines d’arrestations, des dizaines d’établissements fermés, le chef de la police limogé...

Comme souvent avec ce type de campagnes “coup de poing” en Chine, les images ne manquent pas, et les articles de journaux sont illustrés de photos montrant prostituées et clients menotés et agenouillés. L’émotion de quelques (millions de) bloggeurs sur Weibo appellant à soutenir les travailleurs du sexe n’y changera rien.


La police arrête prostituées et clients présumés dans un établissement de Dongguan - Photo: AFP

On estime à environ 300000 le nombre de personnes engagées dans l’économie du sexe à Dongguan, soit un habitant sur vingt. Ces jours-ci, tous les trains au départ de Dongguan sont complets. Travailleuses et clients fuient la tempête. Pourtant, on peut penser qu’après un ou deux mois de campagne médiatisée, Dongguan reprendra ses vieilles habitudes. Après tout, ce n’est pas la première campagne anti-prostitution, et la ville a déjà connu des tentatives de “nettoyage” par le passé. D’autres établissements ouvriront sans doute, et les femmes reviendront, et d’autres ouvrières quitteront l’usine pour rejoindre les hôtels. 

Dans tous les cas, difficile de ne pas s'interroger sur les raisons politiques cette soudaine campagne. Mais comme le dit très bien un internaute sur le forum chinois zhihu.com, “de toute façon, [...] nous autres citoyens de base, on n’est pas informés”.

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