samedi 11 janvier 2014

Les mots empruntés à la mode en 2013

Avec l'importance encore croissante de la Chine sur l'échiquier mondial, des éléments de sa culture s'imposent petit à petit à l'étranger. Des mots et expressions chinoises passent ainsi les frontières pour être apprivoisés dans d'autres langues. Dans l'article qui suit, l'auteur s'intéresse aux mots chinois que l'on a pu retrouver dans la presse anglophone en 2013, soit dans leur version originale phonétique, soit dans des formes traduites, parfois maladroites.

L'article qui suit a été publié dans le Southern Metropolis Daily (南方都市报) le 2 janvier 2014. 
Titre original:  外来热词中的2013 [source]
Traduction française par Guillaume C.


Les mots empruntés à la mode en 2013


2013 vient de s'achever, et alors que la Chine prend de l'importance, un certain nombre de mots chinois font leur apparition dans le vocabulaire anglais.Mais les dictionnaires se doivent de garder un équilibre entre description et la régulation. L'agence de presse Xinhua s'est intéressée à la question de l'apparition de mots chinois dans les dictionnaires anglais, et a interrogé à ce sujet Julie Kleeman, en charge du dictionnaire bilingue édité par la Oxford University Press. Cette dernière explique que sa maison d'édition intégrera probablement certains mots chinois en vogue dans la version en ligne du dictionnaire, mais qu'il faudra encore un certain temps avant que ces mots soient intégrés à la version papier, temps nécessaire pour s'assurer que ces mots soient effectivement utilisés sur le long terme par les médias. Le terme "guanxi" par exemple, connu par un grand nombre de personnes et souvent utilisé, peut être considéré comme un mot d'usage populaire. Il a pris sa place dans la langue anglaise en tant que mot d'emprunt.

Les médias, eux, ne s'intéressent guère de savoir si les mots ont été ou non répertoriés dans les dictionnaires, sur lesquels ils ont souvent un temps d'avance. D'après ma propre observation, les médias anglophones intègrent de plus en plus d'expressions chinoises phonétiques, comme un sorte de mode, ou peut-être comme un symbole de "sinisation". A la différence des mots d'emprunts venus du cantonais qui ont intégrés la langue anglaise pendant un temps, les mots d'emprunts d'aujourd'hui utilisent pour la plupart la transcription phonétique pinyin du chinois mandarin. Au cours de cette année, quelques-uns de ces "nouveaux mots" venus du chinois ont été couramment utilisés:

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Shengnv (剩女): Fin 2012, Roseann Lake, auteur installée à Beijing, discute dans la revue "Foreign Policy" du phénomène "Shengnv". Passionnée par le sujet, Lake a interrogé un grand nombre de "Shengnv" autoproclamées, a édité un livre sur le phénomène, et a commencé en 2013 la publication d'une série de bande dessinée intitulée "Super Shengnv" (Chaoji Shengnv). Lake espère par le biais de son travail permettre au monde extérieur de mieux comprendre la société chinoise, et tacle des thèmes sociaux importants, comme par exemple celui du prix du logement, à travers le prisme du phénomène "Shengnv". Elle avance même certaines idées que nous-même chinois n'aurions pas eu. Les possessives "mères tigres"  chinoises pourraient ainsi selon elle être en partie responsable d'un certain manque d'assurance chez les hommes chinois, qui ne se marient qu'avec des femmes légèrement moins éduquées et moins compétentes qu'eux, laissant de côté les filles les mieux éduquées qui deviennent ces "Shengnv". Cette approche psychoanalytique est résolument rafraichissante. Chères mères tigres, s'il vous plait, soyez un peu plus tendres, cessez de gronder sur vos garçons pendant toute leur enfance jusqu'à les priver d'oxygène. Une fois grandis, s'ils rencontrent une femme de qualité, ils n'osent pas ou ne souhaitent pas les prendre en mariage.

Tuhao (土豪): Si le terme a se retrouve parfois, c'est le plus souvent accompagné d'une définition, et l'on ne peut pas dire qu'il ait fait son entrée dans la langue anglaise. Des personne devenues soudainement riches et importantes, il y en a eu de tous temps, et il existe déjà des termes pour les désigner en anglais ou en français, comme "uncouth rich", "nouveau riche" ou encore des mots que les traducteurs apprécient comme "Beverly Hillbillies; richinese, rich redneck...

外来热词中的2013 - 南桥 - 南桥的博客 Dama (大妈): L'année passée, les "Dama" ont fait grimper le prix de l'or, ont dansé sur les places publiques jusque dans Central Park à New-York, avec une inépuisable énergie. Le Wall Street Journal utilise directement le terme chinois "Dama", traduit littéralement "Big Mothers", pour désigner ces femmes chinoises d'âge mûr. Le mot "Dama" sonne aussi comme le mot "Dame", qui désignait en anglais les compagnes des Lords, puis est devenu une façon comique ou ridicule de désigner les femmes en général. On le retrouve par exemple dans ce sens dans la nouvelle de Washington Irving Rip van Winkle, où l'épouse de van Winkle se fait appeler Dame van Winkle. Si la Dame van Winkle se donne les airs et l'arrogance d'une épouse de Lord, elle n'en a en aucun cas le rafinement et passe son temps à rouspéter contre son mari. Le terme "Dame" est vivide, et il m'a toujours été difficile d'en trouver une traduction adequate (en chinois). 2013 me donne une nouvelle façon de le traduire: "Dama".

Gaokao (高考): De plus en plus de gens commencent à comprendre le système chinois du gaokao. L'expression "examen d'entrée à l'université" est de moins en moins utilisée, tandis que l'on utilise plus souvent le terme "gaokao" tel quel, comme dans la revue américaine The Chronicle of Higher Education. Le Huffington Post parle du gaokao ainsi: "Aujourd'hui, l'examen ultime, le gaokao, laisse un peu moins de place à la corruption que ses prédécesseurs.".

Hukou (户口): Le terme "Hukou" s'est lui aussi petit à petit fait une place dans les médias. Après le passage du PISA (Program for International Student Assessment), qui a placé les étudiants de Shanghai en haut de la hiérarchie mondiale, de nombreux médias se sont penchés sur la question des Hukou, déclarant que les résultats du PISA reflétaient avant tout l'inégalité du système éducatif chinois. Un chercheur de l'institut Brookings à Washington disait ainsi: "Dans les villes chinoises, à Shanghai comme  ailleurs, un preuve de résidence, le Hukou, est nécessaire. Il est décerné à chacun dans dans sa municipalité d'origine, et donne le droit d'accéder aux services municipaux, dont celui d'aller à l'école.".

Weibo (微博): De nombreux journalistes occidentaux commencent à ouvrir leurs propres comptes weibo à la recherche de sujets d'actualité. Les articles sur la Chine font ainsi de plus en plus référence à Weibo, même si le terme est encore parfois accompagné d'une note expliquant que weibo est un "équivalent de Twitter". L'on voit aussi apparaitre dans la presse en anglais de plus en plus de "Weibo officiel" et autres "Big V" (compte VIP officiel Weibo, ndlt).

外来热词中的2013 - 南桥 - 南桥的博客Wechat (威信): Le nom anglais de Weixin. Facile d'utilisation, Wechat possède un grand nombre d'utilisateurs hors de Chine. Le grand nombre d'utilisateurs en Iran a même fait naitre quelques inquiétudes et le service s'est vu interdit. L'Inde semble elle aussi en passe d'en interdire l'utilisation. Voir enfin des services internet chinois bloqués à l'étranger, on pourrait dire qu'il s'agit là d'un retour de politesse! En Chine, Wechat est déjà devenu aussi familier que le 老干妈 (Lao gan ma. une sauce épicée très répandue, ndlt). Si en Chine il y a des étrangers qui renversent des Dama avec leurs mobylettes, aux USA il y a des chinoises qui utilisent Wechat au volant et renversent des étrangers. La victime poste ensuite une photo de son propre visage ensanglanté, accompagné d'une ligne d'avertissement: "A l'attention des conductrices chinoises: pas de Wechat lorsque vous conduisez sur Monterey Park.". Les préjugés ne manquent pas aux USA, une femme au volant y est considérée dangereuse, encore plus si elle est asiatique. Si en plus elle discute sur Wechat alors qu'elle conduit, cela devient une arme de destruction massive.

En fin d'année 2013, le mot en vogue était "Baozi" (包子). Malheureusement la transcription du mot chinois n'est jamais utilisée, et beaucoup, comme le Wall Street Journal, lui préfèrent la traduction "steamed bun" (pain vapeur, ndlt). Le problème est que le mot "bun" désigne une sorte de pain, sans rien à l'intérieur. Sans cette information, le lecteur croit peut-être que le président Xi passe son temps à manger des Mantou (sorte de Baozi non farci, ndlt). Le magazine The Atlantic préfère appeler les Baozi des "dumplings" (raviolis, ndlt) plutôt que des "buns". Pourtant ce sont généralement les "shuijiao" (raviolis chinois, ndlt) que l'on appelle "dumplings". Pourquoi ne pas simplement utiliser la transcription "baozi"? C'est simplement que les américains ne sont pas familiers de ces aliments. Les "baozi" ne sont pas plus dans le menu d'un repas américains que mes oeufs bouillis dans le thé. Tant pis, on en reparlera dans quelques années!

Ces dernières années, les étrangers qui viennent "flotter" en Chine (华漂) sont de plus en plus nombreux. Ceux-là viennent expliquer sans le détour d'une traduction certains aspects de la culture chinoise. En 2013, 28 de ces étrangers flottant ont publié un livre intitulé Unsavory Elements, qui rassemble toutes sortes d'expressions chinoises telles que "baijiu" (白酒) ou "ganbei" (干杯). Lorsque je demandais à l'éditeur de l'ouvrage ce que signifiait le titre Unsavory Elements, il me dit qu'il s'agissait de la traduction de l'expression 不良分子 (minorités immorales, ndlr). Hier, l'un des auteurs me faisait parvenir un paragraphe d'introduction, dans lequel je trouvais l'expression "China-based illegal alien". Je traduisais naïvement le terme par "immigré illégal en Chine", mais dans sa lettre suivante l'auteur me corrigea: il s'agissait en fait de ce que l'on appelle les 三无人员 (hommes aux trois « sans »: personnes sans caractère, sans expérience, sans épouse, ndlr). Mais ces expressions que nos étrangers flottants ont apprises sont déjà en passe d'être démodée en Chine.


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